Nous sommes un groupe de grimpeurs enthousiasme affichant un fort penchant pour l’aventure. Nous considérons le Québec comme un terrain de jeu unique pour se réaliser. Nous croyons également que c’est un magnifique tremplin pour se préparer à des réalisations d’envergures partout à travers le monde.

lundi 28 février 2011

La Ruée vers l'or

Deux heures du matin, la montre sonne, personne n’ose vraiment bouger dans notre boîte de pick-up. J’ose ouvrir mon sac de couchage  au péril de mon nez et tente d’enfiler le plus vite possible mes vêtements chauds. Pas une seconde à perdre,  je dois aller démarrer le moteur, sans quoi il nous serait presque impossible de manger. Il fait trop froid, vraiment trop froid. On est motivé à bloc. Quelques  bonnes pelletées  de gruau, un café et on est parti. La Ruée vers l’or nous attend. Le temps est glacial, dans les -35, le vent est présent et nous siffle à l’oreille. On ne peu pas skier sans doudoune, c’est humainement impossible.
 Les premiers km sont difficiles,  je réajuste ma tuque, mes mitaines, car la moindre infiltration d’air me rend agressif. Le froid est vraiment intense.  Je croise Damien alors qu’il met  son capuchon.. Derrière ses nombreuses couches lui couvrant le visage, il me crie : « Merde Frank, là y fait frette en cri…… de tab…..  pour être dans les Hautes- Gorges .On va souffrir mon gars, je te le dis «  c’est sérieux » et le voilà parti l’air toujours aussi motivé,  mais quel bargo. Faire du ski de fond en doudoune ça  arrive pas tous les jours, autant en profiter. Arrivé  sur la rivière le froid me transperce  littéralement. J’ai froid au crâne, aux doigts  et mes pieds, je ne sais pas mes pieds…
 Les 15 km nous séparant de notre objectif sont  déjà derrière nous. Maintenant, à chacun sa méthode pour changer de vêtement. Pour ma part, mes bas secs  sont  prêts,  sur le dessus de mon sac avec une paire de semelles chauffantes,  le changement sera rapide. Il se doit d’être rapide. Debout dans le traîneau j’enfile mes bas, colle mes semelles et me prépare à mettre mes bottes d’escalade. Soudain je réalise que notre réchaud de secours  a,  pour je ne sais quelle raison,  laissé  échapper du gaz.  Je patauge maintenant avec  mes précieux bas  dans une soupe gazière incroyablement froide .Quelle  merde, mais quelle merde. Je remets alors mes vieux bas qui trainent  dans la neige, les trouvant plus attirant que ceux  imbibés  de gaz. Le mal était fait. Au départ de l’approche j’avais un sentiment de roche à la place de mes pieds.  Un sentiment trop souvent ressenti par le passé. Des années d’escalade  de glace au Québec ça laisse des traces et surtout aux  pieds.

 Le soleil se pointe tranquillement, on a tôt fait de se taper  les deux premières longueurs en simultané .On est dans les temps,  et on est toujours aussi motivé. La première longueur plus technique est pour moi.  Un M6 assez intimidant avec son départ plutôt facile,  suivi d’une traverse délicate assez engagée et nous voilà partis  dans la mythique Ruée vers l’or. La suite me donne des frissons.  Après le rétablissement suivant la traverse : de la belle glace m’emmène dans un dévers très soutenu  parsemé de roches instables variant de quelques millièmes à quelques pieds. La grimpe est technique en raison de  l’instabilité des roches  et  la présence de petites bolts rouillées qui ne m’inspirent  pas vraiment confiance. Merci  aux ouvreurs, il faisait quand même chaud au cœur à clipper. La sortie  dans un dièdre avec un beau glaçon à gauche m’a tout pris. La glace très  mince et  un grand écart pour atteindre le glaçon m’ont  permis de me sortir de là indemne. Quelques mètres de bonne vielle glace cassante et me voilà assis dans mon relais, Oufff!

Les gars ne tardent pas trop à me rejoindre. Je repars tout de suite pour la prochaine étape. Une superbe longueur de glace en 5  suit,  elle  aurait été probablement plus agréable  s’il ne faisait toujours pas aussi fret.., mais bon je fais avec. Avant de perdre les gars de vue je les vois faire les cents pas sur le relais. Gauche droite gauche droite, tape du pied, secoue le pied mon Dieu qu’ils on l’air de souffrir. Pour ma part je vous épargne les détails…  Plus vite, il faut aller plus vite je distance les vis et enfin je plante un relais. Yan arrive le premier, le rack est déjà près sur une sangle. Il a tôt fait de s’équiper et il est parti .Il est toujours aussi motivé, je le vois dans ses yeux, focus et plein de fougue. Du Grand Yannick Girard.

La prochaine longueur fait peur, une légère tour de glace s’élève en ligne droite vers du terrain mixte. Damien et moi regardons Yan progresser. Après chacun de ces mouvements la glace grince et sonne creux,  je grimace rien qu’à  l’entendre. Il grimpe avec dextérité cette tour de cristal toute en finesse et arrive au sommet. Toujours pas de protection la glace est trop mauvaise. Il nous fait quelques bonnes  blagues  commentant sa situation, quoi de mieux qu’un peu d humour pour faire redescendre la pression. La tour est détachée d’une bonne douzaine de pouces  de la paroi,  et la voie de mixte plus haut est encore loin, très loin. « Les gars je ne me sens pas nécessairement au bon endroit au bon moment dans ma vie présentement ». Je pouffe de rire, pour moi ça voulait tout dire : si Yannick dit ça, on ne passe pas. Une chute d’où il était aurait eu de graves  conséquences pour lui et possiblement pour nous. Il nous est toujours difficile de retraiter d’un projet si longtemps espéré. On avait beau avoir toute la motivation du monde, la voie n’était tout simplement pas formée. La nature nous disait non, pas encore cette année.
Malgré les conditions sibériennes que nous endurions depuis des heures on avait un petit pincement au cœur. Pour moi une chose était indéniable. Yan risquait gros dans se pitch de malade,  et je lui étais reconnaissant d’avoir l’intelligence et l’expérience de retraiter. On tourne la page et à la prochaine fois. Nous avions quand même quatorze heures d’activité intense dans le corps et il nous fallait redescendre puis skier jusqu’au camion,  15 km plus loin. La journée n’était pas terminée.
On chausse nos skis . On n’a plus d’eau,  elle est gelée depuis sept heures ce matin. On n’a plus de bouffe tout est gelé comme du granit. Moins d’énergie avec un petit sourire en coin, je pars, les gars sont devant moi. Malgré l’échec de notre tentative je me sens terriblement bien. Mon corps souffre, je ne sens plus mes pieds depuis mon petit  bain et j’ai anormalement soif. Malgré ça mon esprit est serein, comme si je devais être là à ce moment exact de ma vie. Finalement après une trentaine de galettes de neige ingérées,  et une vingtaine d’heures de dur combat,  on arrive enfin au camion. Grosse journée, on est dimanche soir et on travaille tous demain. Il nous faut quand même revenir à Québec .  La route sera longue et la chaleur nous fait fermer les yeux, ils sont presque incontrôlables .Cinquante six dollars de Mc Donald plus tard j’arrive enfin chez moi. Je vais me coucher complètement exténué et juste avant de fermer les yeux, deux choses me viennent à l’esprit :
-Parfois nos plus beaux exploits se voient à travers nos échecs,
-Et que la nature est le roi, il faut qu’on fasse avec.
P-S : une petite dernière aussi. -35 dans les Hautes- Gorges ça n’est pas vraiment une bonne idée!
François Bédard

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